La propriété, une tragédie pour l’accès de tous à la nature

Depuis la publication du manifeste du Collectif Chartreuse en septembre 2023, il semble ne plus se passer grand chose autour de l’interdiction récente de l’accès à de plus en plus de secteurs naturels : au cœur du Massif de la Chartreuse, dans les Vosges, à Villeneuve-Loubet, en Sologne, etc. Et pourtant, une proposition de loi des Verts pour dépénaliser l’accès à la nature, était présentée le 27 mars 2024 devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, malheureusement rejetée par une alliance entre le Rassemblement national, les Républicains et la majorité présidentielle. Par ailleurs, des négociations sont toujours en cours autour d’une convention de passage attendue fin juin 2024 en Chartreuse pour entretenir l’espoir d’une liberté d’accès à la nature. Il paraît opportun de tenter de redéfinir la question de l’interdiction de vastes secteurs naturels, de faire le point sur le Droit d’Accès à la Nature, aujourd’hui en France.

L'Aulp du Seuil, juin 2015

Depuis le point culminant du Grand Manti, le vallon de l'Aulp du Seuil fermé par le Col de Bellefont – le Dôme de Bellefont à gauche, les Lances de Malissard à droite (Chartreuse orientale, Saint-Bernard, Isère – 05/06/15)

Viser à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée[1]

Le 3 février 2023, dans le but de « protéger nos espaces naturels pour mettre fin à des pratiques d’engrillagement et de chasses artificialisées néfastes », le Président de la République a immédiatement promulgué la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 qui vise à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.

La « mise en conformité » à la loi consiste au remplacement des clôtures existantes par de nouvelles qui doivent permettre, selon le législateur, la libre circulation des animaux sauvages[2].

En conséquence immédiate de cette loi au travers de plusieurs exemples, comme pour la Réserve Naturelle des Hauts de Chartreuse, on constate sur le terrain un affaiblissement du droit d’accès informel à la nature en France pour ne pas dire une perte de ce droit.

Clôture du pâturage du Châtelard

Le vaste pâturage au bord du plateau d'Innimond situé au lieu-dit le Châtelard est clôt et "défendu" par de solides barrières métalliques à l'ouverture verrouillée (Bugey, Innimond, Ain – 28/05/24)

La propriété privée

La propriété privée a évolué au cours de l'histoire, consacrée par la bourgeoisie révolutionnaire en 1789 comme un droit « inviolable et sacré » jusqu’à sa forme actuelle, la propriété marchande qui est au cœur des problèmes environnementaux. La propriété marchande encourage la destruction de l'environnement en accordant aux propriétaires le droit de disposer de leurs biens sans limites.

  • Définition du Code civil de 1804 : « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et les règlements. »

Aujourd’hui, des alternatives existent, des juristes et des philosophes proposent de refonder le droit de propriété sur des bases écologiques, tandis que des collectifs et des militants expérimentent la gestion commune et la propriété d'usage des terres et des bâtiments. L'action est nécessaire. Des luttes juridiques et des occupations peuvent être menées pour protéger les écosystèmes et le vivant contre les projets destructeurs.

  • Neutraliser le droit de vendre ou de détruire serait bien la clef pour définir une « propriété écologique ». Opposée à la « propriété marchande », elle constituerait ainsi « un rapport social dont l'essence préserverait la chose appropriée ». Le droit de propriété serait alors comme une faculté d'habiter, plutôt que l’exercice d’un pouvoir sur des objets.

Aujourd’hui, la nouvelle loi a un impact certain sur le droit d’accès à la nature.

Jusqu’ici, la violation de propriété privée n’existait pas pénalement. Avec la loi du 2 février 2023 relative à la lutte contre l’engrillagement des propriétés, une nouvelle infraction est créée.

Il s'agissait de combler un vide juridique, de compenser l'abaissement des clôtures et de garantir le droit à la propriété privée. Afin d'éviter toute infraction involontaire, une contravention ne pourrait être appliquée que si le caractère privatif des lieux avait été identifié par une « signalétique spécifique ».

Et voilà : « Sans préjudice de l'application de l'article 226-4, dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui, sauf les cas où la loi le permet, constitue une contravention de 4e classe. »

La nouvelle loi renforce donc les droits des propriétaires privés d'espaces naturels, mais en même temps, fragilise la liberté de circuler de tous les usagers, promeneurs et randonneurs, dont la liberté n'était garantie, jusque-là, que par le vide juridique évoqué précédemment. Cette situation s'inscrit à rebours des usages observés jusque-là dans les forêts des massifs et secteurs concernés et rompt avec le caractère apaisé des relations qu'avaient l'habitude d'entretenir jusque-là, les propriétaires privés et les autres usagers, marcheurs, randonneurs, etc.

Le Vallon de Marcieu

Ici, depuis les Rochers de Bellefont, le vaste Vallon de Marcieu au pied des Lances de Malissard. La Roche de Fitta, les Rochers du Fouda Blanc, le Sommet du Pinet et enfin le Mont Granier, à l'horizon (Chartreuse orientale, Saint-Pierre-de-Chartreuse – Isère, 23/10/11)

Les droits des propriétaires

La loi du 2 février 2023 ne vise pas à interdire purement et simplement l'accès aux domaines privés, mais elle offre aux propriétaires plusieurs outils pour mieux contrôler l'accès à leurs terres et dissuader les intrusions. Soit, par exemple : La loi impose aux propriétaires de signaler clairement le caractère privé de leurs terres et leur confère le droit de refuser l'accès à toute personne non autorisée. En cas d'intrusion, ils peuvent engager des poursuites pénales. Des aménagements dissuasifs et des négociations avec les usagers habituels peuvent également être mis en place pour protéger la propriété privée.

Il est important de noter que la loi ne donne pas aux propriétaires un droit absolu d'interdire l'accès à leurs terres. Il existe un certain nombre de droits de passage qui garantissent l'accès à la nature pour des activités telles que la randonnée, la pêche ou la chasse. De plus, les propriétaires doivent respecter les réglementations locales en matière d'urbanisme et d'environnement.

En conclusion, la loi du 2 février 2023 offre aux propriétaires de nouveaux outils pour mieux contrôler l'accès à leurs domaines et protéger leur propriété privée. Cependant, il est important de l'utiliser dans le respect des droits des autres et des réglementations en vigueur.

Le droit d’accès à la nature

L’avenir accordera à chacun un droit général de profiter de la nature. C’est un projet politique ambitieux qui suppose d’atténuer quelque peu le caractère absolu du droit de propriété.

Le droit d’accès à la nature est un principe existant en Europe du Nord, notamment en Islande, en Norvège, en Suède et Finlande, selon lequel chacun a le droit de parcourir et de profiter des espaces naturels indépendamment de leur statut foncier. Traverser une prairie, cueillir des champignons et des baies dans une forêt, bivouaquer dans un pré, randonner sur n’importe quel sentier et canoter sur le moindre lac sont considérés comme des atouts et des avantages environnementaux accessibles à tous en vertu de ce droit coutumier qui conçoit la nature comme un bien public.

Références

Références

Notes

[1] Loi n° 2023-54 du 2 février 2023

[2] 30 centimètres au-dessus de la surface du sol et leur hauteur, limitée à 1,20 mètres

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